#1 Du climat, tu ne parleras pas
Pourquoi ? Parce que le ʺclimatʺ ça fait peur. Comme le dit Anne-Sophie Novel, à l’origine du projet Place to B : « le mot même de ʺclimatʺ apparaît comme un terme compliqué qui fait référence aux maths, aux sciences, un ʺtruc qui fait peurʺ. » Le climat, c’est un sujet complexe, même pour les scientifiques. D’ailleurs, ils ont même du mal à se mettre d’accord entre eux…
Si vous voulez instruire vos lecteurs, proposez-leur plutôt une approche interactive et ludique basée sur des faits scientifiques comme The global carbon project imaginé par Karen Bastien, François Prosper et l’équipe de WeDoData.
#2 Des hommes, tu parleras
On lit et on entend partout « sauvons la planète », mais cette phrase répétée d’un bout à l’autre du web occulte le véritable enjeu de la COP 21. Si les 195 pays du monde se réunissent pour la première fois de l’histoire de l’humanité, ce n’est pas pour sauver les fleurs, les pandas ou même les baleines mais bien pour protéger les hommes, comme l’a rappelé le prince Charles en introduction de la conférence, lundi 30 novembre : « in damaging our climate, we become the architechts of our own destruction. While the planet can survive the scorching of the earth and the rising of the waters, the human race cannot. »
Quant à la variante, « sauvons le climat », elle expédie le débat bien loin des considérations des citoyens. Comment mobiliser les auditeurs et les lecteurs avec un sujet si peu centré sur l’essentiel d’une vie ?
Ce qui intéresse les hommes, ce sont les hommes, comme l’a très bien compris Pascal Canfin, le nouveau président du WWF : « l’écologie, c’est l’humanisme du XXIe siècle ». Plutôt que de sauver la planète, l’ancien ministre délégué au développement propose de sauver l’homme et son « capital naturel en train de s’effriter ».
#3 Le mot « écologie », tu n’utiliseras pas
Quand il utilise le mot « écologie », un écologiste du XXIe siècle imagine un monde meilleur, sans pétrole, sans pollution, avec des énergies renouvelables et des maisons ultra-modernes, des régulateurs de chauffage, des panneaux solaires et des batteries intégrées. Il pense à une ville agréable à vivre, avec des transports en commun, des parcs, des potagers sur les toits comme à Montréal et un système ultra-performant de récupération des déchets comme à San Francisco.
Quand ils lisent ou entendent le mot écologie, la plupart des lecteurs voient un berger en sandales, un parti politique ou des militants extrémistes opposés à la construction de l’aéroport à Notre Dame des Landes. Pour convaincre ses administrés, la maire de la commune de Montdidier, ville pionnière dans les énergies renouvelables, a confié qu’elle ne leur parlait jamais d’écologie. Elle leur parle d’avenir et d’économies.
#4 Des nouveaux mots, tu inventeras
Isabelle Delannoy explique parfaitement dans son interview en quoi la crise écologique est une crise mythologique : « les mots que nous employons pour parler de l’écologie reflètent une conception dépassée. Notre civilisation vit une mutation globale, une métamorphose profonde. Aujourd’hui, si nous voulons raconter le nouveau monde, nous devons trouver de nouveaux mots. »
L’homme a grandi dans l’idée qu’il devait se battre pour survivre dans une nature inhospitalière et sauvage. C’est d’ailleurs ainsi que Sean Penn nous raconte le combat de son héro d’Into the wild. Les nouveaux enjeux nous obligent à repenser notre place dans l’écosystème naturel. Car nous réalisons que notre survie est intrinsèquement liée à la santé du monde vivant qui nous entoure. Comment repenser la réalité de notre existence ? Les journalistes, les blogueurs et les écrivains doivent créer un nouveau vocabulaire afin de décrire les nouvelles possibilités qui s’offrent à l’homme.
#5 Le jargon, tu éviteras
Ça commence mal avec le titre de la conférence internationale : la COP21 ! C’est vrai, comme dit un Youtubeur : « ce nom, c’est vraiment nul ». A quoi pensaient les organisateurs quand ils l’ont inventé ?
Naomi Klein, la journaliste canadienne et militante altermondialiste confirme : « Quand vous suivez un sommet de l’ONU sur le climat, c’est incroyablement bureaucratique. Le vocabulaire utilisé, si vous n’êtes pas un obsédé du climat est très difficile à comprendre. Il y a tous ces acronymes GIEC, UNFCCC, et ça c’est le plus facile ! »
Les hauts fonctionnaires de l’ONU n’ont pas été formés à la communication mais plutôt à la diplomatie. La communication, c’est le travail des médias. Il faut sortir du jargon et de la complexité du langage des négociations afin de rendre l’enjeu de ces négociations accessible à tous, même si cela demande un effort de réflexion et de créativité supplémentaire pour traduire le langage diplomatique et scientifique. Derrière tous ces mots compliqués, il faut sentir les vies, rencontrer les personnes, montrer les projets incroyables.
#6 Sur le mot « nature », tu n’insisteras pas
La nature, les petits oiseaux, les fleurs et l’admiration de la beauté du monde, ça ne touche pas tout le monde. Certains jouent avec succès sur cette corde sensible comme l’organisation Conservation International dans la campagne « Nature is speaking ». Mais ils bénéficient du talent et de la voix d’acteurs comme Harrison Ford ou Julia Roberts. Le risque avec le côté poétique de la nature, c’est de se faire taxer d’idéaliste un peu rêveur, gentil mais idéaliste. Donc pas crédible.
#7 A raconter des histoires, tu apprendras
Est-ce que vous vous rendez compte que le succès de la pétition contre le chalutage en eau profonde organisé par Bloom a été tel qu’il a fait exploser le site Internet ? Je répète : le chalutage en eau profonde. Un sujet compliqué et occulte qui n’avait à priori rien d’intéressant pour le grand public. La raison de cet incroyable succès ? Le talent d’illustration de l’artiste Pénélope Bagieu, un ton drôle et décalé, et surtout : l’art de raconter l’histoire d’un petit monde caché dans les profondeurs sombres des océans.
La BD suit un schéma narratif classique très efficace. Elle commence par nous rendre les fonds marins attachants en comparant les coraux à nos maisons « un récif corallien c’est Sim City, ça marche vraiment comme une ville. » Mais cet équilibre idyllique se trouve bientôt menacé par l’arrivée des chalutiers qui raclent les fonds. C’est l’évènement extérieur qui vient briser l’équilibre initial. Tout ça pour quoi ? Pêcher trois sortes de poissons « dont personne n’a rien à carrer ». De jeux de mots en explications pédagogiques, l’artiste nous conduit peu à peu à nous sentir révoltés par la situation et nous donne les moyens d’agir à la fin de son récit, avec un lien vers la pétition.
#8 La barque, tu ne chargeras pas
« Sauvez la planète », « sauvez le climat », c’est écrasant. C’est une mission que la plupart des gens n’ont pas envie de porter. Ils ont déjà bien assez à faire comme ça pour protéger leur famille et leur offrir une vie décente. Avec des phrases comme ça, on en prend pour toute sa vie et même après la mort tellement ça nous dépasse.
Pierre Rabhi l’a bien compris, lui qui est un formidable conteur moderne. Nous l’avons tous entendu raconter l’histoire amérindienne du colibri, qui a donné le nom de son mouvement. Un minuscule oiseau se met en tête d’éteindre un feu de forêt en apportant une minuscule goutte d’eau dans son bec. Un toucan qui le regarde faire se moque de lui « Tu es fou colibri, tu vois bien que cela ne sert à rien. » « Oui je sais, répond le colibri, mais je fais ma part. » Le toucan se met à l’imiter, bientôt suivi par tous les autres animaux de la forêt et la forêt est sauvée. Cette histoire nous plaît car elle nous déculpabilise, elle libère notre envie d’agir.
Comme le colibri, chacun de nous fait sa part, chacun fait ce qu’il peut.
#9 Tu ne dramatiseras pas
C’est vrai, il y a urgence. Mais parler des bouleversements avec un ton trop grave, du style : « la fonte des glaces va faire disparaître des îles et des côtes entières », c’est stressant. Pire, ça fait écologie des années 80. Maintenant au XXIe siècle, on a toutes les solutions technologiques, on a le savoir et on a même l’argent. Il nous reste plus qu’à donner envie pour que tout le monde se mette en marche.
#10 Un avenir désirable, tu décriras
Plutôt que d’affoler les populations ou de les faire culpabiliser, faites-les rêver et montrez-leur des solutions concrètes pour agir. Comme dirait Pierre Radanne, un des organisateurs de la COP21 sur France Inter : « Et si on sortait de la déprime générale ? » Décrivez à quoi pourrait ressembler le monde si nous réussissons la transition énergétique et si vous n’avez rien sous la main, inventez des concepts. C’est ce qu’a fait l’essayiste américain Jeremy Rifkin avec succès dans un de ces livres : La troisième révolution industrielle.
Eve Demange