Depuis le 15 août, au Château de Millemont près de Paris, une centaine de makers, artistes et citoyens du monde entier sont réunis pour prototyper « une société zéro carbone, zéro déchet ». Ophelia Noor en fait partie, qui documente pour POC21 ce camp d’un nouveau genre. A l’heure du lancement du compte à rebours pour la COP21, j’ai fait le récit en images d’une journée type au campement de la transition écologique. Objectif : inventer douze solutions open source pour le climat, qui seront présentées au public (sur inscription) les 19 et 20 septembre.
Mise en place des infrastructures du campement POC21 début août. © CC-Ophelia Noor
6h-7h. A l’aube, yoga, marmite de café et douches bâchées
Le chateau de Millemont, entouré de forêts et de champs, s’éveille en douceur. Dans l’Orangerie transformée en cuisine et réfectoire, des volontaires préparent le petit déjeuner prévu à 8h. Pain, confiture, beurre, miel, céréales et une marmite de café pour les 80 à 100 personnes présentes quotidiennement sur POC21. Pendant ce temps, au château, Anja donne un cours de yoga.
Gregory Joya, architecte constructeur de la salle de bains DiY. © CC Ophelia Noor
Derrière le château, les douches sont déjà toutes occupées. Les cinq cabines fabriquées par les équipes de POC21 pendant la semaine d’installation, sont séparées par d’épaisses bâches en plastique dans une petite maison de bois. Sur la terrasse, on se déchausse et étend sa serviette, à l’intérieur, un lavabo en bâche plastique et son étagère en bois pour poser shampooing et savon. Biodégradables et solides, sans emballage, ils ont été fabriqués localement par Ludvina de Pachamamaï avec des huiles essentielles et une technique de saponification à froid.
9h-10h. Check in : toilettes sèches ou héros cuisinier
Dans le Lounge a lieu le 1er meeting de la journée. © CC-Ophelia Noor
Le « check in », animé par Dominik Wind du collectif allemand Open State, l’un des deux organismes à l’origine de POC21 (avec les Français de Ouishare), permet chaque matin d’annoncer le programme et les objectifs, entre ateliers, keynotes et arrivées de mentors. C’est le moment de compléter le tableau des cinq tâches quotidiennes de co-living auxquelles tout le monde doit participer. Toilet Care mobilise 4 personnes pour vider plusieurs fois par jour les toilettes sèches au compost. Il y a aussi Kitchen Clean (2 nettoyeurs pour les grands faitouts), Cooking Heroes (6 personnes pour épauler Line, la cheffe cuisinière), Garbage Crew (2 pour ramasser les poubelles de tri) et Night Guardians (4 pour un tour de garde nocturne).
Dominik Wind devant le tableau des tâches collectives. © CC-Ophélia Noor
10h-13h. Stocks, prototypes et discussions à tous les étages
A l’Orangerie, préparation des repas pour 80 à 100 personnes. © CC
Le repas de midi se prépare à l’Orangerie, les équipes projets occupent les espaces de coworking du grand château, l’équipe du magazine POC21 est sur le terrain tandis qu’une partie des organisateurs des organisateurs OuiShare et OpenState sont dans les bureaux.
Workshops en petits groupes, discussions par projets au POC21. (c) Ophelia Noor
Au programme des équipes projet : du brainstorming, des discussions personnalisées avec des mentors et des ateliers Autodesk sur les logiciels de modélisation 3D.
Cours de modélisation 3D avec Paul Sohi, designer britannique. © CC-Ophelia Noor
« L’enjeu est d’amener les concepteurs à rendre leur projet facile à comprendre et facile à utiliser », explique Paul Sohi, 28 ans, designer produit britannique et évangéliste chez Autodesk, installé pour les cinq semaines de POC21 au château.
Clément Chadeyron, fondateur du Limouzilab, devant la Factory. © CC Ophelia Noor
Dans l’espace Factory, chaque boxe du fablab (installé dans les anciennes écuries) accueille différents ateliers (électronique, bois, métal et CFAO), sous l’œil bienveillant du fabmanager Damien Arlettaz, épaulé par des bénévoles et des contributeurs. Des équipes projet s’y retrouvent pour avancer sur leurs prototypes, d’autres fabriquent des petites infrastructures dont le château a encore besoin, comme les cabines des toilettes.
Ateliers et rencontres avec des mentors et des facilitateurs sont proposés sur les sujets les plus variés : la documentation open source, les fablabs et la production distribuée, un jeu de carte sur les enjeux du réchauffement climatique, les modèles économiques ouverts ou encore une keynote de Michel Bauwens, théoricien du peer-to-peer.
Brainstorm dans l’espace de coworking du grand château. © CC-Ophelia Noor
Pendant ce temps, l’équipe logistique menée par une bande de filles (Julie, Claudine, Hind, Donatienne, Maïwenn, aidées de bénévoles) s’active pour accueillir les nouveaux arrivants à la gare de Garancières-La-Queue (Yvelines), faire les courses et veiller aux stocks, distribuer couvertures ou Soul Bottles, tout en gérant le budget.
13h. À table et au soleil
Quand le temps le permet, le déjeuner se fait sur l’herbe. © CC-Ophelia Noor
Dans l’Orangerie, l’équipe mitonne le déjeuner. Quand le temps le permet, les longues tablées et leurs bancs en bois sont installés sur la pelouse de l’Orangerie. Les plats sont majoritairement végétariens et deux files distinctes apparaissent lorsque la viande est au menu. Tomates, feta, avocats, boulgour, riz, lentilles, omelettes, pêches, framboises et laitages à gogo. Si les victuailles sont achetées à des petits producteurs locaux, les yaourts, la viande, les céréales et les biscuits proviennent d’invendus de supermarchés alentours.
14h-18h. Back to work
Tomás Diez, directeur du FabLab de Barcelone, est venu pour trois jours accompagner les projets et a discuté avec Trystan (Open Energy Monitor) des synergies avec le Smart Citizen Kit développé par Barcelone, avec Yannick (VéloM2) et Tristan (AKER) du projet Open Source Beehive, a examiné les projets FairCap et SunZilla : « J’ai le sentiment d’avoir pu faire passer une vision claire des enjeux qui les attendent. Il ne s’agit pas seulement pour eux de faire ce dont ils ont envie, mais de rester réalistes pour accomplir un objectif qui dépasse leurs inventions, en seulement cinq semaines.»
Le mentor Tomas Diez (à g.) du FabLab Barcelona, avec Yannick, de l’équipe VéloM2. © CC-Ophelia Noor
A la Factory, les équipes du collectif d’architectes Quatorze, de l’ordinateur open source DiY Jerry-Do-It-Together et des bénévoles travaillent dans les ateliers. Clément Chadeyron, de l’équipe Jerry, habitué du Faclab de Gennevilliers et fondateur du Fablab Limouzilab, s’occupe d’une partie de l’espace CFAO. Romain Chanut, Justine Hennequin et lui ont construit en semaine zéro des serveurs Jerry pour répondre aux besoins de connexion wifi de Millemont. Le collectif Quatorze est venu avec sa fraiseuse CNC géante capable de découper du bois aussi bien que de l’acier. Des imprimantes 3D Ultimaker et la « Rolls Royce » des traceurs de Roland, immense, complètent le lab.
Atelier bois à la Factory de POC21. © CC-Ophelia Noor
18h. Pause et dépose
En tâche de fond, la vidange des toilettes sèches continue, et la préparation du repas du soir à déjà commencé. Un filet de volley a été installé. 18h, c’est l’heure pour se défouler ou « chiller » dans l’herbe du côté de l’Orangerie, ou, de l’autre côté du château, autour des transats en bois du feu de camp. C’est là que Romain et Clément (équipe Jerry) ont lancé le montage du premier dôme géodésique.
Séance volley-Ball. © CC-Ophelia Noor
Construction collective du premier dôme géodésique. © CC-Ophelia Noor
19h-20h. Check out : « Comment s’est passée votre journée ? »
Le rendez-vous de fin de journée à POC21. © CC-Ophelia Noor
Pelouse de l’Orangerie. Dominik rallie tout le monde sur les longs bancs de bois installés en cercle. Bienvenue dans la session « check out ». Comment s’est passée votre journée ? Y-a-t-il une expérience que vous voulez partager ? Les nouveaux arrivés se présentent. Chacun est attentif au tour de parole, on applaudit en faisant tournoyer les poignets, on demande le silence à plusieurs en levant les bras vers le ciel. Les soirées sont libres sauf si des keynotes sont prévues : l’auteur de SF et théoricien Bruce Sterling est ainsi venu en deuxième semaine.
La communauté POC21 en tableau. © CC-Ophelia Noor
Cette expérimentation du vivre et faire ensemble, sans hiérarchie, est un travail de chaque instant. Un soir, Milena (équipe VeloM2) a proposé aux projets traitant de l’énergie d’unir leurs forces pour concevoir un modèle électronique qui serve à tous. La force des 12 projets est aussi de se compléter les uns les autres.
20h. Dinner is served
Nicolas en pleine préparation du repas. © CC-Ophelia Noor
La langue principale de POC21 est l’anglais. Les participants viennent du monde entier, avec une majorité de Français et d’Allemands. Mais on côtoie des Italiens, des Espagnols, des Néo-Zélandais, des Américains, des Danois, des Belges… Les conversations vont bon train dans la file du self. Chacun débarrassera après le repas son assiette, videra ses restes dans la poubelle appropriée, lavera le tout à l’éponge et au produit vaisselle écologique dans un premier bac, puis le passera à l’eau claire et chaude dans un deuxième bac. Le système a été conçu par Gregory Joya, un des architectes du collectif Bellastock. Un lave-vaisselle pour 4 à 6 personnes consomme 25 à 40 litres d’eau par cycle, contre 60 litres par repas pour 100 personnes pour les bacs installées à POC21.
A partir de 21h, certains boivent, d’autres travaillent
La nuit tombe sur le château de Millemont. Les participants se divisent en groupes. Ceux qui repartent au coworking, ceux qui prennent une bière et s’installent au feu de camp avec de la musique électronique, d’autres qui prolongent la discussion à l’Orangerie avec un verre de vin ou une tisane.
Soirée mapping sur le dôme géodésique de POC21. © CC-Ophelia Noor
Le Lounge accueille des sessions plus ou moins studieuses. La soirée « mindfuck » a rassemblé une trentaine de personnes sur les poufs, canapés, et coussins pour discuter au-delà de POC21 : « Comment puis-je être plus qu’une goutte d’eau dans un océan ? » ; « Le changement climatique est aussi une question de système politique et économique » ; « There is inconsistency in the world »; « Le DIY ? L’économie collaborative ? Au Brésil c’est un besoin vital pour beaucoup de gens. Ils le pratiquent au quotidien sans le nommer » ; « Il faut “faire” et parler seulement de ce que l’on fait, pas de ce que l’on pense » ; « Peut-être que notre vrai impact sera d’avoir créé une armée de créateurs du changement. » On a aussi vu des cours de Lindy Hop proposés par Cassandra ou une fête autour du nouveau dome en bois.
1h-6h. La garde de nuit
Les Night Guardians commencent leur tour du château de Millemont. Un journal de bord leur est ouvert pour raconter l’état des constellations ou le chant des insectes en un mot, un dessin, un rêve… « A tiny cloud of smoke above the camp fire. It’s almost dead so the flames are probably not willing to guide us through the night. Nevermind, the night guardians will have your back safe tonight, their heads fulll of warm burning branches. »
Récit édité et publié sur Makery le 11 septembre 2015, à retrouver en intégralité sur le magazine de POC21.
Exposition des douze projets au château de Millemont les 19 et 20 septembre (sur inscription)