Nouveau mythe, pour un avenir vivant !

Publié le 29/01/2016

Pourquoi avons-nous tant de mal à nous mobiliser devant la menace climatique ? Pourquoi les médias parlent-ils si mal d'écologie ? Le mythe à la rescousse ?
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Partie 2 : Changer notre grille de lecture du monde

La crise climatique remet en question les symboles de la victoire

La conquête de Mars n’étant pas certaine, le salut apparaît donc aujourd’hui dans le retour à la Terre. Survivre ici et maintenant implique de renouer avec la dimension sacrée de la planète, valoriser la vie sous toutes ses formes, reconnaître l’incapacité d’un modèle de pensée qui a permis à l’homme de survivre et de se développer jusqu’à maintenant mais qui va le mener à sa perte s’il poursuit dans cette voie. Survivre implique de s’unir, de s’organiser, de fraterniser pour trouver des solutions globales. L’ennemi, c’est notre manière de fonctionner, notre esprit guerrier, notre habitude du gâchis, la manière dont nous traitons le vivant, notre croissance, notre démographie incontrôlée.

Le changement climatique remet en question les symboles de la victoire dans les sociétés occidentales, elles-mêmes imitées par la jeunesse du monde entier – ou violemment combattues comme modèle culturel dominant. La survie de notre espèce devient désormais conditionnée à notre manière de nous auto-réguler, à notre discipline, à la compréhension et au respect du cycle de la vie, à l’économie et au recyclage, autant de valeurs qui sont encore loin d’être partagées par la majorité en général, et par les classes dirigeantes en particulier, biberonnées aux valeurs du mâle guerrier et de la réussite par l’argent.

Car comme le souligne Alexandra d’Imperio, les classes dirigeantes sont très effrayées par une chose : la perte de statut social dont les symboles sont devenus les grosses voitures polluantes – le cheval du guerrier mâle dans la guerre de Troie -, les iPhones et sa panoplie de machines high tech à l’obsolescence programmée, sa mode polluante, les vêtements de marque et la surabondance de nourriture. Quant aux classes populaires elles se serrent la ceinture pour posséder ces signes de victoire. En gros, « être heureux, c’est avoir toujours plus de confort et de possessions matérielles, c’est être capable d’acheter tout ce que l’on veut quand on veut et avoir une reconnaissance sociale grâce à ça » explique le poète, penseur et réalisateur Cyril Dion pour résumer la pensée actuelle. Pour changer la société, il faut raconter une nouvelle histoire, Reporterre.

Comment passer de ce schéma de pensée à un autre, radicalement opposé ? Avec quels mots, et quelles histoires, expliquer que nos chances de survie ne prennent pas le chemin de l’ultra-consommation mais du minimalisme ? Que le summum de la réussite, c’est l’économie et la maîtrise de soi-même ?

 

Comment changer rapidement un système de valeurs ancré

Point de pistes dans le passé et peu de pistes pour décrire l’avenir. Or pour changer, il faut avoir de nouveaux récits enthousiasmants, de nouveaux systèmes de valeurs pour remplacer l’ancien, de nouveaux codes sociaux, des modèles, des idées et beaucoup d’imagination. Et nous manquons cruellement de récits positifs, joyeux, modernes sur un avenir sûr et désirable pour nous et nos enfants. La plupart d’entre nous imaginent le changement vers des sociétés bas carbone comme un retour en arrière, une perte de confort et d’acquis chèrement gagnés. Nous projetons sur l’avenir une grille de lecture ancienne. « Le problème, c’est que nous envisageons toujours l’écologie sous l’angle de la contrainte » reconnaît Isabelle Delannoy.

Comment le progrès pourrait-il être synonyme de nature ? Dans notre imaginaire d’occidentaux, il existe une séparation entre l’élévation de l’homme, le confort matériel, le raffinement – et la nature, associée à un contexte de vie paysanne, brute, difficile, évoquant le travail dans les champs, les longues journées laborieuses et les mains abîmées.

Jusqu’à présent, la majorité des artistes traitait le retour à la nature sur le mode de la quête sauvage et romantique, loin des normes d’une société perçue comme aliénante et pourtant nécessaire à la survie. Lorsque Sean Penn raconte l’histoire de Christopher McCandless dans le film Into the Wild, il nous parle d’une recherche intérieure de bonheur et de liberté chèrement payée. Le héros, jeune étudiant diplômé promis à un brillant avenir, choisit de prendre la route en laissant tout derrière lui. Il découvre la vie en communion avec la nature, puis le poids de la solitude. Il finit par s’empoisonner en mangeant des baies toxiques dans un paysage magnifique mais inhospitalier.

Le mythe Into The Wild, Sean Penn, 2008

Into The Wild, Sean Penn, 2008

Les nouveaux récits écologiques travaillent sur la réintégration de la nature dans la ville. Artistes et architectes imaginent des potagers et des ruches sur les toits, tandis que les ingénieurs s’inspirent du vivant avec le biomimétisme, domaine émergent de la recherche qui s’annonce très prometteur. Isabelle Delannoy témoigne de la difficulté d’introduire ces nouveaux paradigmes lors de ses conférences : « dans mes présentations de l’économie symbiotique, je projette des parcs magnifiques avec des gens qui s’amusent et à côté j’écris ʺstation d’épurationʺ. Cela me permet de rapprocher des notions que nous ne lions pas habituellement. »
De leur côté, Cyril Dion et Mélanie Laurent cherchent à construire une vision du futur globale et cohérente, portée par des héros modernes comme Vandana Shiva dans un format plus grand public, le cinéma. Ensemble, ils ont réalisé le film « Demain » afin de produire un déclic dans l’imaginaire collectif : « Quand on parle d‘écologie, on a souvent l’image du berger un peu idéaliste qui part en sandale élever ses moutons sur le Larzac. Avec ce film, nous avons voulu raconter une autre histoire. Montrer que des solutions pérennes existent et qu’elles fonctionnent à grande échelle comme c’est le cas à San Francisco avec le zéro déchet par exemple. (…)nous parlons carrément d’une nouvelle façon d’envisager le monde. »

Un mythe nouveau

Luc Schuiten – www.thegreenrevolution.it

 

De nouveaux mots pour raconter la transformation intérieure

Quand j’ai démarré ce dossier « storytelling et écologie », je pensais que nous nous trompions de mots. Nous utilisions « sauver le climat » quand il fallait dire « sauver l’avenir des hommes », « changement climatique » quand il fallait parler de « survie de notre système alimentaire». Je pensais qu’il fallait changer notre manière de traiter l’écologie, faire attention au vocabulaire que nous utilisons. J’ai d’ailleurs résumé ces conseils dans les 10 commandements du journalisme d’impact.

Certes, il nous manque des mots pour décrire la réalité de ce monde qui s’effondre pour donner naissance à un autre monde. Nous utilisons des mots du passés, comme « socialiste », « communisme » qui produisent la confusion dans les esprits car ils ramènent à une grille de lecture du monde dépassée au lieu d’utiliser des mots neufs, vierges, qui parleraient du futur. Les bons mots comme « écologie » se trainent des vieilles casseroles. Les mots comme « changement climatique » semblent totalement déconnectés de la réalité humaine.

Mais le véritable problème ne vient pas de ces mots qui nous empêcheraient de voir la réalité. Le véritable problème vient de notre grille de lecture du monde, elle-même prisonnière de mots inadaptés pour décrire la nouvelle situation. Ces mots révèlent simplement notre vision dépassée. Nous expédions le problème à l’extérieur de nos vies alors que nous parlons d’une part intérieure, profonde de nous-mêmes, notre système de pensée, notre rapport à la Terre, nos valeurs, la manière dont nous nous percevons comme des êtres vivants parmi les autres, la manière dont nous envisageons notre avenir et donc les histoires collectives que nous nous sommes racontées et que nous avons crues comme étant la réalité par le passé.

Voici comment Erik M. Conway et Naomi Oreskes définissent le mot « Environnement » dans le lexique des termes archaïques tiré de leur livre L’Effondrement de la civilisation occidentale : « Concept archaïque qui, après avoir dissocié les êtres humains du reste du monde, assignait à la composante non humaine une valeur esthétique, récréative ou biologique particulière – voir « Protection de l’environnement ». Parfois, on distinguait environnement « naturel » et environnement « bâti » : cela contribuait à brouiller les esprits des hommes et femmes du XXème siècle, qui avait du mal à saisir et à reconnaître l’omniprésence planétaire de leur impact ».

Plus que jamais nous avons besoin de nouveaux récits, de nouveaux mythes et d’imagination pour créer un univers capable d’enthousiasmer les foules. Nous avons besoin d’expérimenter une autre réalité, de la voir, de la ressentir par un nouveau récit, lui-même porteur d’un langage d’avenir. Or, la classe politique actuelle, mais aussi une grande majorité des penseurs, écrivains, économistes et philosophes échoue dramatiquement à entendre et à porter ces nouveaux récits, à repenser le lien de l’Homme à la Terre nourricière, source de vie.

La COP21 de Paris en décembre 2015 a enclenché un nouveau récit mondial dans lequel la place de l’homme sur la planète doit être repensée, débattue, renouvelée, réordonnée. Ces nouveaux imaginaires porteurs de sens et d’espoir pour l’avenir se lisent et se construisent actuellement sur les réseaux sociaux. Ils commencent à se frayer un chemin dans la pensée occidentale, portés en Europe par des mouvements artistiques alternatifs comme le Solar Punk Project, des magazines comme We Demain et des initiatives comme Place to B.

(Lire la suite – Partie 3 : Mobiliser nos forces intellectuelles, créatives et politiques)

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