Anthropologue en santé publique Madina Querre a longtemps travaillé en Afrique puis en France sur les questions de maladies chroniques. Aujourd’hui, la voici de retour dans sa ville natale Saint-Emilion où elle lance le premier Biotope Festival avec l’association Demain Saint-Emilion. Nous l’avons rencontrée.
Raconte-nous la genèse de cet événement, le Biotope Festival.
Nous avons imaginé cet événement parce que la protection de l’environnement est une urgence humanitaire. Pour accompagner une transition dans cette optique nous devons tous faire évoluer nos pratiques et transmettre ces changements aux enfants qui sont certainement aussi les meilleurs éducateurs. Saint-Emilion et le grand Saint-Emilionnais appartiennent à un site prestigieux, connu du monde entier et où viennent plus d’un million de touristes chaque année. Ce territoire est associé au luxe tout autant qu’au partage social, à la joie, aux bons mets, au rassemblement. Et c’est autour du patrimoine, du territoire que cela se construit – donc de la terre et son environnement.
Actuellement nous découvrons et subissons les conséquences de décennies d’évolutions de pratiques et d’utilisation de produits dont nous ne connaissions pas les effets. À présent nous devons modifier nos habitudes à tous les niveaux, chez nous, dans nos déplacements, dans la production agricole, etc… rien n’est épargné. Une transition, une transformation de pratiques vitale ne se fait pas seul et du jour au lendemain. Il faut réfléchir à plusieurs, partager les savoirs, les expériences bonnes comme mauvaises, inventer, proposer des actions, impulser des actions.
C’est pour cela que nous avons créé Demain Saint-Emilion. Une équipe s’est très vite constituée en CA de l’association, avec Catherine Lignac, viticultrice qui est l’actuelle présidente, Vincent Lignac, viticulteur, Adrien David Beaulieu, jeune viticulteur, Alice Merleau, professeur de français et conteuse, Céline Toumieux, qui vient de créer une structure de lutte contre l’illétrisme numérique et Christine Cieslielski qui est professeur d’anglais!
Le but de l’association est précisément de faire l’état des lieux de pratiques en accord avec la protection de l’environnement, de les valoriser, de réfléchir à celles à mettre en place en questionnant ce qui se fait déjà ailleurs, en fédérant les personnes localement et avec l’extérieur, agrandir les partenariats.
Et une fois par an, il faudra prendre le temps de poser les choses, accueillir des personnes humanistes pour recentrer les objectifs, les rappeler, et ensuite valoriser ce qui a pu être récolté durant l’année, faire le bilan, reprendre les débats, les idées, croiser de nouveaux partenaires, lancer de nouveaux plans d’action, s’amuser, aussi. Mêler tout ça d’un savoir d’adultes et d’enfants, et fêter cet engagement, ce mouvement pour la protection de l’environnement.
Saint-Emilion a souvent été un lieu protégé dans l’histoire, ou inventeur, peut-être est-ce une nouvelle occasion d’impulser ce mouvement, pour qu’il soit partagé avec le maximum de personnes. L’évolution doit se faire d’initiatives locales fédérant les acteurs concernés. Ici le Conseil des Vins aura un rôle fondamental, la viticulture représente la ressource économique de quasiment toutes les familles qui vivent sur ces 22 communes. Ils ont accepté d’être acteurs et partenaires de cette association pour son engagement dans la sensibilisation à sa préservation de l’environnement et parce que la cible prioritaire sont les enfants.
Concrètement, qu’est-ce qu’on pourra découvrir, apprendre pendant le Festival ?
On pourra recevoir un état des lieux de la situation de la terre, de la protection de l’environnement dans une dimension humaniste et concrète. L’importance de s’ancrer dans la réalité de notre monde est l’objectif de cette conférence d’ouverture, où Nicolas Hulot nous a fait l’immense honneur de répondre présent et a ainsi donné le « la » à ce festival et à l’association, qui se devra d’impulser des actions et une dynamique à la hauteur de sa confiance, pour de longues années.
Puis il y aura le lendemain des tables-rondes partage de savoir, expériences et plan d’actions. Le but est de donner la parole sur les questions importantes, de découvrir des pratiques et de dégager les éléments qui sont à travailler pour avancer dans la protection de l’environnement.
Parallèlement il y aura un espace animation jeunesse pour accueillir les enfants pendant que les parents sont aux tables rondes et pour engager ce que seront les prochains festivals, c’est à dire aussi des espaces ludiques pour et avec les enfants et les jeunes. À cette occasion les premières émissions de la web radio des enfants pourront être écoutées ! L’école de Lussac a été la première à vouloir former ses enfants. Nous allons voir comment ce projet évolue avec les enseignants, les enfants et les jeunes.
Enfin nous clôturerons, en partenariat avec l’association des Grandes Heures de Saint Emilion par un concert en harmonie avec la beauté, musique sur peintures de Chagal.
De nombreux événements auront aussi lieu dans le grand Saint-Emilionnais, notre objectif étant de s’associer autant que possible à ces actions locales pour s’inscrire toujours dans la dynamique de ce qui est déjà existant. D’autant plus que ce sont de très beaux projets, festivals qui existent localement.
Les termes employés dans la communication sur le festival sont très positifs, alors que de nombreuses associations engagées sur ces thèmes emploient plutôt un vocabulaire d’opposition, de lutte. Pourquoi ce choix sémantique ?
Ces associations font un travail extraordinaire, elles se battent pour engager la discussion et comme souvent en France les précurseurs rencontrent tant de résistance qu’il n’y a pas d’autre moyen que le combat.
Notre association a un objectif autre. Elle s’inscrit sur un grand territoire où des actions de transition et de préservation existent déjà tout en étant confronté à l’urgence de l’utilisation de produits dont on découvre depuis plusieurs années la dangerosité.
Ces actions sont peu ou pas connues. Il faut aller les découvrir, les valoriser.
Il y a aussi ceux qui souhaiteraient changer de pratique mais ne savent pas comment faire. Rassembler des expériences d’ailleurs pour les partager, s’en inspirer. Il faut s’ouvrir aux pratiques d’ailleurs pour inventer les siennes.
Par ailleurs, j’ai commencé à travailler avec les enfant sur mes premiers terrains et je crois profondément que mobiliser des questions comme celle-ci en replaçant l’intérêt de l’enfant au coeur du débat, de l’action, permet de recentrer les objectifs des causes essentielles.
Lorsque cette idée a été partagée localement, elle a reçu un écho plutôt positif et qui a mobilisé les engagements. Evidemment il y a la venue de Nicolas Hulot qui fédère beaucoup et il faudra tenir cette impulsion et ce rythme! Mais valoriser les pratiques locales existantes, accompagner les enfants à faire des états des lieux de ce qui existe, réfléchir, proposer, s’engager vers… peu de gens n’ont pas envie de s’engager là-dedans. Et en tous les cas localement cette méthode a fait écho.
Le combat induit quand même la peur et celle-ci peut-être nécessaire mais aussi un grand frein à l’avancée en fonction des situations, du contexte, surtout lorsqu’on est sur les terrains familiaux, professionnels. Ici tout le monde vit de la vigne, donc il faut être dans la construction et le faire ensemble. Il y a déjà beaucoup d’inquiétude pour ne pas dire de peur. Il faut accompagner à dépasser ce stade et s’inscrire dans la transition. Il faut rassurer et montrer un objectif clair, ce sera notamment le modèle des tables rondes.
Et après ? Comment engager les différents partis sur le long terme ?
Alors ça c’est le pari ! 🙂 Comme pour des associations que j’ai accompagnées sur d’autres terres, quand on se lance dans de si beaux projets, c’est en contrat à durée indéterminée et on espère ne pas en voir la fin, qu’au contraire cela donne des branches qui rejoignent d’autres branches, comme une forêt.
On évoquait avec l’association qu’il sera nécessaire que je consacre un mi-temps sur ce projet pour avoir un accompagnement de proximité et un suivi de long terme. Cela nous parait indispensable. Nous allons travailler petit à petit avec les écoles, centres d’animation, les mairies on l’espère, les collèges et lycées aussi pour intégrer les projets existants qui méritent et peuvent être valorisés, recueillir les requêtes pour trouver des offres ou réponses grâce aux partenariats avec les autres association, inventer des projets, tisser les liens. Ce sera un travail long mais nous pensons de grande et belle ampleur.
Ce sera sans doute un travail de fourmis mais de nombreuses fourmis. Elles sont très efficaces les fourmis pour construire !
En savoir plus
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