Dans des communautés indigènes d’Oaxaca, au Mexique, des peuples ont trouvé une alternative à la dépendance technologique envers les grandes corporations : celle de créer leur propre réseau cellulaire.
Loreta Bravo habite la province d’Oaxaca. Dans 17 communautés indigènes de la région, le désir de se libérer du monopole des entreprises privées était omniprésent. Alors que l’agriculture est une activité commune chez ces peuples pour parvenir à l’autosuffisance alimentaire, l’implantation d’une antenne cellulaire autonome est chose moins courante. Malgré la complexité de cette démarche, ils ont réussi.
Le plus grand défi n’a pas été de rassembler des personnes avec des habiletés techniques, mais bien des gens prêts à créer des liens et se voir différemment.
Changer la façon de se percevoir
À priori, il est vital de revoir nos perceptions sur nous-mêmes et de les redéfinir au besoin, fait comprendre Loreta Bravo. « Même si plusieurs sont portés à croire que l’aspect le plus difficile de ce projet est le côté technique, je vous assure que le plus ardu est de créer des ponts entre les diverses communautés. L’autre grand défi est de changer les esprits alors qu’on crée », explique l’habitante d’Oaxaca.
Les membres des communautés ont cessé de se percevoir comme des usagers d’un service cellulaire, mais bien comme faisant partie de l’infrastructure, insiste Mme Bravo. « Nous ne sommes pas des usagers, mais des créateurs du réseau », fait-elle remarquer. Par ce fait même, les gens éprouvent une certaine responsabilité à l’égard du bon fonctionnement du réseau. Puis, comme ce dernier touche tout le monde, l’apport de la collectivité prend alors tout son sens.
C’est également à ce moment que rentre en ligne de compte un autre défi. Le niveau de réceptivité des 3000 membres, des communautés confondues, à intégrer un autre schéma narratif pour la réussite de ce projet. Celui de trouver des solutions durables pour bien communiquer et collaborer, à travers le temps.
Le partage de savoirs et les alliances : plus fort que l’argent
Devenir des communautés autonomes, à l’égard des entreprises commerciales et de l’État, requiert un resserrement au niveau des liens sociaux et communautaires, avance la féministe et productrice de radio, Loreta Bravo. « Et lorsqu’on devient responsable d’une infrastructure, on devient des acteurs au sein de celle-ci », rappelle la militante.
Afin d’assurer la stabilité de ce réseau de communication, les membres doivent être disposés à cultiver de bonnes relations avec les autorités et les renouveler, car ces dernières changent à chaque année. Des actions que Loreta considère comme vitales pour la pérennité du réseau. Elle raconte aussi comment l’État et quelques ONG ont tenté d’enseigner aux communautés des moyens pour trouver du financement. Les membres ont toutefois préférés se rapporter aux compétences détenus par les membres. « L’enjeu avec ce type de soutien est qu’il crée une dépendance. Alors que le besoin réel est de croire davantage dans nos propres compétences », proclame Mme Bravo.
Les défis techniques ont, quant à eux, été relevés par un échange de savoirs et l’accumulation d’efforts provenant d’ingénieurs, de hackers et de techniciens qui ont mis la main à la pâte. De plus, comme il est courant dans les communautés autogérées, ce projet n’a aucune ambition pécuniaire. La recherche du profit est mise à l’écart au bénéfice d’un service collectif à un prix dérisoire.
Une radio qui raconte le monde différemment
La mise en place de ce réseau cellulaire a aussi facilité l’émergence d’une radio alternative, alimentée par les ondes de l’antenne. Après leur libération de l’emprise des compagnies cellulaires dominantes, le moment était de mise pour produire une chaîne radio reflétant les sujets touchant de près les membres.
« Plusieurs féministes travaillent au sein de ce média où des concepts dominants, notamment ceux reliés au pouvoir et au machisme, n’ont par leur place, car ils sont confrontés à un terrain infertile », raconte Loreta.
Épargné des cadres narratifs courants, promus par de nombreuses chaînes de radio populistes, ce média alternatif permet d’insuffler « une certaine liberté à divers niveaux de communication (…) et à encourager une réflexion différente et créative ».
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