Les cultures sont victimes des bioagresseurs – adventices, insectes, champignons, virus – partout dans le monde. La lutte contre ces ravageurs est aussi ancienne que l’agriculture elle-même : la Grèce antique recourt au soufre (1 000 ans avant J.-C.), l’arsenic est recommandé comme insecticide par le naturaliste romain Pline dès le début de notre ère et l’aconit est employé au Moyen-Âge contre les rongeurs.
En France, après la Seconde Guerre mondiale, les progrès dans la protection des plantes liés au développement de la chimie organique de synthèse ont largement contribué à l’augmentation des rendements et à la régularité de la production. Faciles d’accès et d’emploi, relativement peu chers, les produits phytosanitaires de synthèse se sont révélés très efficaces et fiables dans un nombre important de cas sur de grandes surfaces.
Une agriculture française dépendante
L’agriculture française a développé des systèmes de production fondés sur l’utilisation de ces produits dont elle apparaît aujourd’hui très dépendante. Selon les données Eurostat 2013 relatives aux quantités de substances actives vendues annuellement, la France occupe le deuxième rang européen avec 66 659 tonnes, après l’Espagne (69 587 tonnes) et devant l’Italie (49 011 tonnes). En termes d’utilisation, la France apparaît au 9e rang européen, selon le nombre de kilogrammes de substances actives vendues rapporté à l’hectare avec 2,3 kg/ha.
À noter que l’Hexagone est au premier rang européen au regard de la surface agricole utile (SAU), elle compte 28,98 millions d’hectares, devant l’Espagne (23,65 millions d’hectares) et l’Allemagne (16,70 millions d’hectares), elle est ainsi 4e consommateur au niveau mondial derrière les États-Unis, le Brésil et le Japon pour le tonnage de substances actives vendues.
Aujourd’hui, l’utilisation systématique de ces produits est remise en question ; on a pris conscience des impacts qu’ils génèrent sur l’environnement et la santé de l’homme.
Des contaminations multiples
Ces produits affectent en effet la qualité des eaux (souterraines, de surface, littorale…) : selon Eau France, la présence des pesticides a été détectée pour l’année 2011 sur 93 % des 2 360 stations de surveillance de la qualité des cours d’eau. Si 70 % ont une concentration totale en pesticides inférieure à 0,5µg/l, 30 % ont une concentration comprise entre 0,5µg/L et 5µg/l.
Les eaux souterraines sont également contaminées : sur les 1 922 points de surveillance de la qualité de l’eau dans les eaux souterraines, 21,2 % présentent une concentration totale en pesticides comprise entre 0,1 et 0,5µg/l et 4,9 % présentent une concentration totale comprise entre 0,5µg/l et 5µg/l.
Les substances les plus quantifiées dans les eaux sont les herbicides ou leurs dérivés (glyphosate, AMPA, atrazine desethyl…), mais des fongicides et certains insecticides sont également identifiés. Des produits phytosanitaires ont également été retrouvés dans l’air (extérieur, intérieur et poussières).
Depuis 2001, les associations agrées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) réalisent des suivis à l’échelle régionale. L’ensemble de leurs travaux établit clairement l’existence d’une contamination, sinon généralisée du moins récurrente de l’air par les produits phytosanitaires. Elle porte de façon très nette l’empreinte des usages agricoles tant par la nature des molécules retrouvées que par l’allure des variations géographiques et saisonnières des teneurs. Les sols sont également contaminés.
La biodiversité menacée
Les produits phytosanitaires ont également un impact très important sur la biodiversité, car ils ont un effet sur les organismes cibles et non cibles et sont responsables du déclin de la biodiversité dans les espaces agricoles. Concrètement, l’usage des insecticides est particulièrement invoqué comme facteur du déclin constaté de l’abondance et de la diversité des populations d’insectes et d’oiseaux. Ils détruisent notamment les insectes auxiliaires qui peuvent permettre de combattre les insectes nuisibles.
Qu’en est-il pour la santé humaine ? Les risques sanitaires peuvent être directs, essentiellement pour les « opérateurs » (personnes qui appliquent les produits phytosanitaires) ou indirecte, via l’environnement (alimentation, eau, air) pour le reste de la population. Une expertise collective a été menée par l’Inserm en 2013 concernant les risques de maladies pour les personnes exposées professionnellement aux pesticides.
Face à ce constat et pour répondre à l’enjeu majeur de nourrir 9 milliards de personnes en 2050, soit 2 milliards de plus qu’aujourd’hui, tout en réduisant son impact environnemental, l’agriculture doit repenser ses pratiques. En France, l’objectif du plan Ecophyto est de réduire de 50 % l’utilisation des produits phytosanitaires à l’horizon 2025 avec un premier objectif de 25 % en 2020. Pour y parvenir il convient de combiner plusieurs moyens, dont certains nécessitent encore des travaux de recherche et développement.
On peut citer en particulier l’utilisation de variétés résistantes aux bioagresseurs, le biocontrôle, les méthodes permettant de faire évoluer les cultures vers des systèmes économes en pesticides, les agroéquipements innovants ou encore les capteurs et outils d’aide à la décision. Les chercheurs d’Irstea contribuent très activement à ce dernier volet par des développements méthodologiques et technologiques tout en intégrant la question de l’accompagnement nécessaire au changement des pratiques.
Des essais encourageants en viticulture
Des chercheurs de Montpellier ont ainsi mené des expérimentations, de 2007 à 2009, pour mesurer les pertes de produits phytosanitaires dans l’environnement lors des applications avec des pulvérisateurs utilisés couramment dans le vignoble. Les résultats sont éloquents : en début de végétation, lorsque la vigne est très peu développée les pertes environnementales (sol et air) s’élèvent à 80 % (seulement 20 % du produit pulvérisé atteint le végétal) et sont encore de 40 % lorsque la vigne est pleinement développée.
L’optimisation des technologies de pulvérisations et des pratiques d’utilisation (réglages, modes de passages dans les parcelles…) constitue l’un des leviers majeurs en viticulture pour réduire l’utilisation de produits phytosanitaires. Les équipes d’Irstea ont collaboré dans ce cadre avec l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) pour développer une vigne artificielle (EvaSprayViti) qui permet de mesurer les quantités de produits déposées sur les feuilles et les pertes environnementales lors des applications pour évaluer les performances agroenvironnementales des pulvérisateurs actuellement disponibles sur le marché.
Les résultats de ces mesures laissent entrevoir des perspectives très intéressantes en termes de réduction d’usage des produits phytosanitaires grâce à l’utilisation de pulvérisateurs innovants et performants. Autre exemple, le développement de Picore – un système connecté intégrant un logiciel et des capteurs embarqués sur le tracteur qui analyse les données de pulvérisation en temps réel. En guidant l’agriculteur via son smartphone dans les réglages du pulvérisateur, le dispositif permet de réduire les quantités utilisées. Les principales initiatives et avancées dans le domaine de la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires sont consultables sur le portail EcophytoTopic.
Bernadette Ruelle, Chercheuse en agroenvironnement, Irstea
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.