Quand vous pensez « innovation », que voyez-vous ? Des véhicules autonomes, des réfrigérateurs intelligents, des nanotechnologies dans nos médicaments ?
Vous avez raison, bien sûr, mais n’oublions pas que la technique n’est rien sans l’homme. C’est à un homme qu’il faudra expliquer le fonctionnement de ce nouveau pacemaker. C’est un être humain qui va souhaiter conduire cette voiture électrique ou se laisser conduire par elle. Les sciences humaines et sociales jouent donc un rôle primordial dans la compréhension de ces phénomènes et sont au cœur de nombre d’innovations.
La mise en œuvre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte en est un bon exemple. Les chercheurs contribuent à la fois à des innovations plutôt techniques et à des innovations plutôt sociétales dans le champ de cette loi et de la lutte contre le changement climatique.
Trouver un langage commun
Leurs recherches concernent les scientifiques aussi bien que les politiques, l’industrie et la société. Les chercheurs ont à la fois un rôle à jouer (comprendre les interactions des parties prenantes, leurs choix, leurs attentes est essentiel) et un terrain d’étude en évolution constante à baliser.
Mais l’un des premiers défis reste qu’avant de saisir l’ensemble des questions de société, les chercheurs en sciences sociales doivent se comprendre entre eux, de façon à articuler leurs recherches. Or un spécialiste de la sociologie du travail a peu de culture commune avec un philosophe des sciences, un ergonome, un géographe, un juriste ou un urbaniste. Une des premières difficultés à surmonter est celle des concepts et du langage.
Mais dès lors que nous créons des ponts entre nous, de nouvelles thématiques et idées peuvent émerger. Des innovations, non d’abord techniques, mais dans la méthode scientifique même, deviennent possibles. Et, dans certains cas, des innovations à caractère d’abord réglementaire, organisationnel, économique peuvent diffuser selon des voies radicalement nouvelles.
Mettre en œuvre la COP21
L’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (Ancre) réunit de grands organismes de recherche (CEA, CNRS, INRA, IFPEN, CPU, etc.) pour coordonner la recherche et proposer des programmes au gouvernement.
Sa mission consiste à mobiliser les communautés de chercheurs, notamment autour de la mise en œuvre de la COP21, organisée à Paris en décembre 2015. Elle a un double objectif : développer les technologies qui vont rendre possible la transition énergétique et accompagner le tissu industriel national et européen de l’énergie vers un niveau d’excellence mondiale.
Ces deux aspirations ne prennent tout leur sens que si l’on sort du schéma classique – qui ne prend en compte les sciences humaines qu’au moment de passer de l’innovation au marché. Ce modèle « utilitariste » doit être dépassé pour impliquer ces disciplines dès le départ.
L’exemple de la mobilité électrique
Prenons le développement des voitures électriques. Au-delà de la prouesse technique, l’entrée de la voiture électrique dans le quotidien pourrait superposer des objets conçus comme différents et habituellement appréhendés de façon totalement disjointe : le véhicule et une batterie (sur roues) capable de services électriques. Des lieux comme un domicile équipé de panneaux solaires d’une part, et un lieu de travail potentiellement muni de bornes de charge (solaires ou non) d’autre part, pourraient être pensés ensemble. Un employeur pourrait devenir ainsi un acteur du transport de ses salariés d’une façon tout à fait inédite.
Les comportements sont aussi à décrypter finement. Pour minimiser sa consommation d’énergie, un conducteur va-t-il toujours charger sa voiture complètement ou choisir de gérer la charge de son véhicule en fonction de son utilisation du jour ? Que se passera-t-il alors en cas d’imprévu ? Un propriétaire de voiture électrique peut ainsi être considéré isolé ou contribuer à l’équilibrage d’un réseau électrique en lui renvoyant l’énergie de sa batterie en cas de forte demande.
Encourager les croisements
Ces applications innovantes sont, par exemple, étudiées dans le cadre du projet Flovesol, mené par mon équipe au CEA. D’ici quelques années, elles pourraient avoir des conséquences surprenantes : des industriels vendront-ils bientôt un service consistant à coordonner des flottes de particuliers et à les commander pour rendre des services au réseau électrique ? Vendront-ils directement de la mobilité ? Le modèle de la possession des véhicules par les particuliers est-il pérenne ?
Les sociologues, les économistes, les urbanistes, les ergonomes… sont tous susceptibles de saisir ces sujets avec leurs outils. Des travaux sont en cours. De leurs croisements naissent déjà des idées formidables.
Pour repousser les frontières académiques, dans une société de plus en plus soucieuse de ses émissions de gaz à effet de serre, il apparaît ainsi pertinent d’encourager des communautés différentes à réfléchir et travailler ensemble, comme c’est le cas pour des territoires comme l’université Paris-Saclay.
L’université Paris-Saclay organisait, les 4 et 5 octobre 2016, un workshop scientifique sur le thème de la transition énergétique.
Jean-Guy Devezeaux de Lavergne, Directeur de l’Institut de technico-économie des systèmes énergétiques (I-tésé), Commissariat à l’énergie atomique (CEA) – Université Paris-Saclay
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.