Les Verts font-ils vraiment de la « politique autrement » ?

Publié le 05/09/2016

Les verts
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La récente sécession de membres importants du parti des Verts (EELV) a ravivé la question de la gestion du conflit au sein de cette formation partisane. Il est banal d’affirmer – notamment dans les médias de grande diffusion – que les Verts ont toujours été dans l’incapacité de gérer efficacement leurs conflits internes : batailles de personnes et querelles de mots seraient, plus qu’au sein d’autres partis, le quotidien d’un mouvement que sa jeunesse relative (il est né en 1984) condamnerait à une sorte d’infantilisme durable.

Qu’en est-il en réalité ? Les Verts ont-ils, plus que d’autres formations partisanes, subi des hémorragies d’adhérents en raison de graves dissensions internes ? Les luttes pour le pouvoir au sein du parti sont-elles plus violentes qu’ailleurs ? Les mécanismes de régulation des conflits y sont-ils moins efficaces ?

Impératif démocratique

Avant d’examiner le cas des Verts, il faut convenir qu’au sein des partis politiques de tous bords la règle est rarement celle d’une harmonieuse coexistence des idées et des hommes. Roberto Michels énonçait, au début de ce siècle, cette «loi d’airain des partis politiques» qui veut qu’au sein de toute organisation partisane les luttes internes aboutissent inévitablement à la confiscation du pouvoir par une élite, au détriment des principes démocratiques. Sans doute les partis de tradition social-démocrate ont-ils mis en place des mécanismes de régulation des conflits et de distribution supposée démocratique du pouvoir. Il n’empêche, à droite comme à gauche, les partis bruissent de querelles de personnes et d’idées.

Les fondateurs du parti des Verts, comme les adhérents d’aujourd’hui, ont toujours été particulièrement sensibles au thème de la démocratie interne de leur mouvement. Un peu oublié aujourd’hui, le slogan «Faire de la politique autrement» a longtemps été l’un des étendards du parti Vert. Sous cette bannière on entendait que, dans ce jeune mouvement, la règle serait celle d’une organisation scrupuleuse des mécanismes de dévolution du pouvoir.

Pour obéir à cet impératif démocratique, des statuts du parti ont été rédigés, et modifiés à maintes reprises. Le but recherché était à la fois de mettre en place des mécanismes assurant un parfait respect de la démocratie et d’empêcher toute confiscation du pouvoir par des groupes ou des individus.

Brider les ambitions personnelles

Aujourd’hui les « Statuts » (30 pages), complétés par un « Règlement intérieur » (91 pages), décrivent une organisation partisane d’une extrême complexité, où tout semble prévu pour brider les ambitions personnelles et respecter une parfaite démocratie de base. La réalité en dispose évidemment autrement. L’extrême complexité des mécanismes mis en place par les statuts a terriblement ralenti le fonctionnement du parti : Assemblées générales interminables, votes contestés, rappels incessant au règlement, soupçons continuels à l’égard de ceux qui chercheraient à monopoliser le pouvoir ont été le quotidien du fonctionnement de ce parti.

Et cette atmosphère délétère a évidemment conduit au découragement et à l’abandon bien des adhérents. Au total, le parti, comme d’autres, a vécu des hauts et des bas. Dans les temps difficiles, il n’a plus rassemblé que deux à trois mille membres. Dans les périodes fastes, il en atteint environ dix mille. Ce va-et-vient est-il supérieur à ce que l’on observe ailleurs ? La comparaison est difficile, faute de disposer d’informations tout à fait fiables sur les flux d’adhérents des autres partis.

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Psychodrame banal chez les Verts. Fred Dufour/AFP

Mais les crises subies par les Verts ont-elles conduit, dans le passé, à des ruptures qui auraient pu annoncer une véritable dissolution du parti ? En réalité, ce que l’on a parfois interprété comme des crises graves n’était souvent que le produit de désaccords personnels, suivis de départs bruyants, qui n’ont eu que peu d’effet sur le destin du parti.

Le précédent Waechter

Un épisode, pourtant doit être rappelé, celui qui a conduit au départ d’Antoine Waechter, le leader historique des Verts de 1986 à 1993. La crise était alors d’une nature plus profonde car le désaccord entre Waechter et ses adversaires portait sur un point crucial : la question des alliances et du pouvoir.

Pour Antoine Waechter et ses amis l’écologie politique devait garder une position de stricte indépendance à l’égard de toutes les autres formations politiques – une position résumée par le slogan qui rassemblait alors ses partisans : «Ni droite ni gauche.» Ceux qui, lors de l’Assemblée générale de 1993, finissent par l’emporter préconisent à l’inverse une alliance et un contrat de gouvernement avec le Parti socialiste. Minoritaire, Antoine Waechter quitte les Verts et fonde le Mouvement écologiste indépendant qui n’aura guère de succès par la suite dans les échéances électorales.

La crise à laquelle nous assistons aujourd’hui – avec le départ de François de Rugy, Jean-Vincent Placé et d’autres – rappelle cet épisode car, là aussi, c’est bien la question de l’alliance et du pouvoir qui est en cause. Mais à front renversé, puisque ceux qui sont partis souhaitent l’alliance et le pouvoir avec le Parti socialiste, tandis que ceux qui restent préconisent une alliance avec la gauche de la gauche (le Front de Gauche). Cette option a sans doute des vertus idéologiques mais elle offre peu de perspectives d’accès au pouvoir local et moins encore au pouvoir national.

À la gauche du Parti socialiste

Cette crise au sein du parti EELV révèle une fracture ancienne : de tous temps, les adhérents Verts se sont situés, d’un point de vue idéologique, à la gauche du Parti socialiste – qu’il s’agisse de valeurs environnementales, mais aussi de questions de société telles que l’immigration ou le mariage pour tous, voire les problèmes du travail (le maintien des 35 heures, le refus du travail du dimanche). Sur tous ces enjeux, les positions affichées par EELV manifestent un radicalisme plus ferme que celui de la majorité du Parti socialiste. Mais ce radicalisme de principe n’empêchait pas, jusqu’ici, les adhérents Verts d’approuver des alliances locales (dans les régions) et un accord national (pour obtenir un groupe parlementaire) avec le Parti socialiste.

Aujourd’hui, c’est ce grand écart entre positions idéologiques et pragmatisme électoral qui ne parait plus supportable aux yeux des Verts. Ou du moins à ceux d’entre eux qui font fi des bénéfices de l’accès au pouvoir. Car, en réalité, la crise sépare une minorité de leaders qui ont accédé à des mandats nationaux ou locaux (députés, sénateurs, conseillers régionaux) à une masse d’adhérents qui ne profitent nullement, pour la plupart d’entre eux, des bénéfices du pouvoir.

A nouveau, ce vieux slogan «Faire de la politique autrement» interpelle les Verts en ravivant l’opposition entre une vision idéaliste et une pratique pragmatique de la politique.

The Conversation

Daniel Boy, Professeur de sciences politiques, Sciences Po – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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