Par Usman W. Chohan, UNSW Australia
Cela peut nous paraître étrange, mais les Norvégiens savent combien leurs concitoyens gagnent et combien ils paient d’impôts… depuis 200 ans. Quand ils remplissent leurs déclarations d’impôt sur Internet chaque mois d’octobre, celles-ci deviennent en effet accessibles à tous, permettant aux voisins et collègues de se pencher sur leurs données financières personnelles.
Comme pratique de bonne gouvernance, l’exemple norvégien paraît proposer ce qui se fait de mieux en matière de transparence ; mais cette politique s’accompagne de nuances importantes.
Tout d’abord, lorsqu’un Norvégien regarde les données d’impôts de son voisin, une notification est envoyée par courriel automatisé au dit voisin pour l’en avertir. Ceci constitue une garantie essentielle de surveillance réciproque. La seule exception concerne les médias du pays qui peuvent accéder aux données financières en toute discrétion.
Deuxièmement, seuls les chiffres globaux sont rendus publics : « revenu total » et « impôt total payé », sans davantage de détails spécifiques. Ces chiffres globaux permettent de trouver un juste équilibre entre protection de l’intimité et responsabilité sociale.
Une pratique solidement ancrée
Ce qui peut apparaître comme une innovation moderne appartient, en fait, à une époque antérieure à l’ère numérique, les dossiers des citoyens ayant été archivés depuis le XIXe siècle.
Ce mouvement en faveur de la transparence a vu le jour lorsque la Norvège a accédé à l’indépendance , plus spécifiquement au moment de l’adoption de la Constitution du pays en mai 1814. Ce fut l’une des mesures fiscales qui accompagna la création d’une banque centrale.
Les informations rendues publiques à cette époque sont identiques à celles d’aujourd’hui : le nom, la profession, les revenus, les actifs et les impôts municipaux. Mais le plus surprenant est que cette initiative ait été mise en place avant l’alphabétisation universelle en Norvège ! Et pour permettre aux analphabètes d’accéder à ces données, des crieurs se présentaient dans les parcs communaux pour annoncer les détails des impôts des uns et des autres.
Une volonté de responsabilité sociale
Cette tradition repose sur certains facteurs culturels et religieux, tout particulièrement l’influence luthérienne qui a favorisé l’émergence de ce mouvement en faveur de la transparence fiscale. Pour les Norvégiens, payer des impôts est un devoir civique, et les trop grands écarts de salaires entre riches et pauvres sont très mal vus.
Cette politique digne d’intérêt fait partie d’une stratégie plus large visant à promouvoir la responsabilité sociale dans le pays. Elle inclut d’autres facteurs tels que : un e-gouvernement efficace, la divulgation des activités de son fonds souverain et un système d’administration fiscale ouvert et réactif.
Le moment ne serait-il pas venu pour des pays comme l’Australie ou la France de publier les chiffres globaux des impôts de tous les citoyens, à la norvégienne ?
Sous le matelas ou sur le tableau ?
Les raisons d’étudier de près le niveau de transparence établi par le système fiscal norvégien sont multiples.
La France n’est tout d’abord pas très bien classée par Transparency International en ce qui concerne l’indice de perception de la corruption : sa note est de 23/168. La Norvège, elle, se classe dans les cinq meilleurs mondiaux.
Il faut également souligner que nous vivons à l’ère des « sociétés de surveillance » : continuer à penser que nos données financières sont privées n’a rien de réaliste.
Ensuite, et comme nous l’a montré la récente débâcle des Panama papers, la transparence financière est absolument essentielle à la réforme de la finance mondiale ; il est ainsi nécessaire d’apporter un meilleur équilibre aux pratiques évasives des riches dans un monde embourbé dans les inégalités économiques.
Enfin, les décisions politiques efficaces nécessitent des données précises. En Norvège, les décideurs peuvent adapter leurs objectifs budgétaires avec beaucoup plus de précision, car Statistique Norvège est en mesure de leur fournir une quantité incroyable de détails sur la situation financière des citoyens.
Néanmoins, la promotion de cette politique en faveur de la transparence ne sera pas facile à instaurer. Certains intérêts s’opposeront toujours à de telles initiatives qui reviennent selon eux à étaler « le linge sale ». Peut-être est-ce la raison pour laquelle nous devrions commencer « petit » , avec les déclarations fiscales des élus par exemple… pour éviter d’autres scandales Cahuzac ou Thévenoud.
Usman W. Chohan, Doctoral Candidate, Policy Reform and Economics, UNSW Australia
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.