La communication environnementale semble arrivée à un tournant de sa jeune histoire. Ces dernières années, une nouvelle forme de discours est apparue, mettant l’accent sur les solutions, les alternatives. En aurait-on fini avec les images d’ours polaire isolé sur une banquise à la dérive et autres visions catastrophistes ?
On pense par exemple à Bea Johnson, auteure du bestseller Zéro déchets, qui insiste sur les bienfaits et les bénéfices de ce mode de vie. On pense aussi au film Demain qui présente un tour du monde des bonnes initiatives pour la planète et le bien-être.
C’est le constat de cette mutation qui fut au cœur d’une étude inédite sur l’impact émotionnel des « visuels climatiques ». Réalisée auprès d’un échantillon de 1 500 individus (selon la règles des quotas), elle a été conduite par l’association Place to B en partenariat avec l’Ademe et l’institut de sondage BVA. Ses premiers résultats ont été dévoilés en mars dernier et, ce lundi 28 août, une plateforme en ligne s’ouvre au public pour présenter en détail les enseignements de l’étude.
Manières de voir
L’étude a porté sur 36 visuels évoquant différentes causes de problèmes environnementaux (la déforestation, l’automobile, le consumérisme, etc.), des incidences sur l’environnement (pic de pollution, marée noire, déchets, etc.) ou l’individu (insuffisance respiratoire, embouteillage, etc.), et des alternatives (énergie solaire, transport doux, végétalisation urbaine, etc.).
La moitié des visuels sélectionnés pouvait être qualifiée de « classiques ». Il s’agissait d’images régulièrement mobilisées dans les communications sur l’environnement (nuage de pollution, marée noire, etc.). L’autre moitié proposait un traitement plus original (un panneau solaire sur le toit d’une cabane délabrée, un VRP pagayant au milieu d’un désert, etc.).
Les participants ont évalué ces images sur différents critères.
Ils ont ainsi répondu à des questions portant sur les émotions qu’ils ressentaient face aux différents visuels et les actions que ces images leur donnaient envie d’accomplir. Il ont également été interrogés sur la légitimité qu’ils accorderaient aux principaux organismes (entreprise privée, collectivité locale, association, etc.) s’ils utilisaient les différents visuels dans le cadre d’une campagne de sensibilisation.
Afin de différencier des profils d’individus, les participants ont répondu à des questions sur leur niveau d’engagement environnemental, leurs caractéristiques socio-économiques, etc.
Des émotions sélectives
Trois profils ont été identifiés dans le cadre de l’étude : les « indifférents » désignent les personnes les moins sensibilisées aux enjeux relatifs à l’environnement ; les « consom’acteurs » représentent ceux qui ont adopté un certain nombre de pratiques durables, sans que celles-ci n’englobent pour autant l’ensemble de leurs sphères comportementales ; enfin, les « ambassadeurs » correspondent à des personnes particulièrement informées et actives dans la préservation de l’environnement. L’étude montre que ces trois profils réagissent différemment aux émotions suscitées par les visuels présentés.
Les « indifférents » se montrent ainsi réceptifs à un mélange d’émotions positives (intérêt, joie, surprise) et d’émotions négatives modérées (colère, peur, tristesse). Aussi, la forte charge émotionnelle véhiculée par des images-chocs peut-elle se révéler contre-productive auprès de ce public. Ces visuels lui apparaîtront trop culpabilisants, le conduisant à se prémunir de cette émotion négative par une stratégie de déni. Il semble donc falloir privilégier les images modérées auprès des personnes les moins sensibilisées.
Les « consom’acteurs » apparaissent comme ceux réagissant le mieux à des émotions négatives (colère, dégoût, tristesse, mépris).
Les « ambassadeurs » reçoivent quant à eux plus facilement des images à forte charge émotionnelle – que celle-ci soit positive ou négative. Particulièrement intéressés par l’environnement, ils sont attentifs aux communications menées sur ce sujet et sont donc susceptibles de réagir plus fortement. Chaque émotion est ressentie de façon beaucoup plus intense chez ce public.
Qui peut montrer quoi ?
Pour autant, la population ciblée par les messages de sensibilisation suffit-elle à définir le type de visuel à utiliser ? Pas tout à fait ! Car le rôle de celui qui émet le message s’avère tout aussi essentiel, et une organisation politique ne pourra pas communiquer de la même manière qu’une association.
Selon les personnes interrogées dans le cadre de l’étude, les institutions publiques centrales sont jugées légitimes pour communiquer sur l’environnement. Et elles le sont d’autant plus si elles traitent des conséquences du réchauffement climatique. En s’entourant de chercheurs et de scientifiques pour affirmer que le réchauffement climatique est une réalité, ces institutions portent l’intérêt général et ne divulguent pas de messages partisans.
Les administrations publiques locales sont quant à elles perçues comme légitimes pour communiquer sur le thème de la mobilité durable : visuels représentant la voirie, l’utilisation du vélo ou encore la pollution atmosphérique urbaine. Les répondants de l’étude attendent des administrations publiques locales qu’elles utilisent des visuels mettant en scène des solutions. Les administrations locales doivent en revanche se méfier des communications humoristiques, pour lesquelles elles sont perçues moins légitimes que les associations.
Concernant les associations, on note un accueil pour l’utilisation du second degré. Les participants à l’étude attendent des ONG une communication portée sur une prise de position militante ou un impact local et quotidien. Le ton humoristique, voire caustique – jusqu’à plonger le public dans l’absurde – est bien accueilli. Mais même avec humour, la posture de donneur de leçon reste toutefois à proscrire. Bien que le rôle de ce type de structures soit souvent de dénoncer ou d’alerter, les images illustrant des solutions sont les plus appréciées.
Il s’avère en revanche beaucoup plus compliqué de communiquer pour les entreprises de droit privé, ces dernières n’étant pas perçues comme légitimes. Ce constat illustre la méfiance généralisée envers le domaine privé, notamment parce qu’il est communément jugé comme premier responsable du réchauffement climatique.
Dès lors, le plus judicieux pour une entreprise consistera à communiquer sur des solutions qui relèvent de son domaine d’activité. Avec des visuels montrant, par exemple, des aspects techniques (voiture électrique, laboratoires de recherche) qui témoignent de son engagement et de ses actions pour la planète. Attention toutefois à les utiliser avec parcimonie pour se prémunir de tout greenwashing.
Émotion… action !
Selon ce qui est représenté sur un visuel, les émotions varient. Sans surprise, les causes et leurs incidences sur l’environnement provoquent des émotions à portée négative : colère, dégoût, peur, mépris, tristesse et culpabilité. Les solutions provoquent quant à elles de la joie, de l’intérêt et de la surprise. Les visuels faisant appel à l’humour suscitent également un grand intérêt, mais sans pour autant inciter à agir.
Ce sont les images-chocs qui suscitent le moins d’intérêt. Cet effet s’expliquera par différents processus à l’œuvre selon le type de récepteur.
On le comprend, toutes les émotions ne conduisent pas aux mêmes envies en termes d’action. Pour une même action, l’envie de s’impliquer ne sera donc pas la même si l’on est joyeux ou en colère. Les émotions négatives incitent davantage à l’action individuelle quand les émotions positives donnent envie d’en parler, de les partager.
L’émetteur de la communication doit donc, en fonction de ses objectifs, s’attacher à susciter des émotions adaptées aux comportements ciblés : des émotions positives pour donner envie de s’informer, entraîner les autres ; des émotions négatives pour susciter l’envie d’agir.
Les résultats de cette étude ont confirmé qu’il est désormais temps de passer à de nouvelles formes de communication en matière d’environnement.
Après plus d’un quart de siècle d’information et de sensibilisation, tous les individus ne montrent pas le même niveau d’intérêt et d’implication vis-à-vis des enjeux écologiques ; il est temps aujourd’hui d’affiner les choix qui président à la communication en sélectionnant notamment des supports visuels en fonction de la cible visée. La dérive de l’ours polaire aura ainsi fait son œuvre, ouvrant de nouveaux possibles en matière de communication environnementale.
Mickaël Dupré, Docteur en psychologie sociale, maître de conférences associé à l’IAE Brest, Université de Bretagne occidentale
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.