Quelques jours avant la COP23, nous avons eu la chance de rencontrer Marie Toussaint, présidente de l’association Notre Affaire A Tous. A une semaine du One Planet Summit du président Macron, retrouvez notre interview pour en savoir plus sur la justice climatique et des engagements de la France dans ce domaine !
Notre Affaire A Tous et la Justice Climatique
Bonjour, Marie, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Avec plaisir ! Je m’appelle Marie Toussaint. J’ai commencé à militer pour les droits humains et contre la pauvreté. Je me suis engagé contre les projets extractistes, notamment en Amérique Latine. Après quelques temps, j’ai compris que nous nous n’arriverions pas à nous battre contre une multitude de petits projets. Qu’il y avait besoin d’un cadre général et d’éléments contraignants au niveau international. C’est la raison pour laquelle je suis aujourd’hui présidente de l’association Notre Affaire A Tous.
Justement, quelle est la mission de l’association ?
Nous nous battons pour la protection des communs et contre les écocides. L’association est née en août 2015, dans la foulée du recours réussi aux Pays-Bas où un tribunal a ordonné au gouvernement de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Nous avons eu alors l’idée de créer une structure en France pour travailler au niveau français sur un recours climat mais aussi sur toute la question d’un droit des communs. Un espace où l’on construit de la doctrine sur la justice climatique et où on vulgarise pour le grand public. Le but est de changer de modèle en changeant le droit !
Aujourd’hui, où en est l’association justement ?
Nous sommes plus de 100 bénévoles dont 25 très actifs. On travaille sur beaucoup de projets différents et avons plusieurs liens à l’international avec d’autres organisations militant pour la justice climatique. Nous souhaitons porter un recours sur le climat mais travaillons également sur d’autres thématiques : l’eau, le nucléaire ou encore la pollution aux pesticides.
Quel est l’état des lieux de ces questions pour le public ?
Nous avons vu une émergence de ces questions dans les deux ou trois dernières années. Nous avions annoncé le lancement de NAAT à Place to B, durant la COP21 fin 2015. Beaucoup de gens qui doutaient de cette approche, de la possibilité d’une justice climatique, ont commencé à changer d’avis. On entend maintenant parler de droit de la nature dans la presse, notamment parce que cela bouge à l’international. Même les candidats à la présidentielles en ont parlé ! Côté associatif, on commence aussi à se saisir de ces questions. WWF et Greenpeace, par exemple, ont recruté des juristes dans le domaine.
Le Colloque du 3 novembre sur « Le droit au service de la justice climatique »
Vous avez organisé le 3 novembre dernier un colloque sur « Le droit au service de la justice climatique ». Comment cette journée s’est déroulée ?
Nous avons organisé cette journée avec Paris 13, l’association France libertés ainsi que d’autres organisations partenaires. C’était l’occasion d’évoquer les obstacles et les opportunités dans le droit pour la justice climatique. De faire l’état des lieux des recours pour le climat dans le monde, d’étudier comment ils étaient construits et ce sur quoi ils avaient débouché. Nous avons également organisé une table ronde avec des juristes français pour questionner comment les juges peuvent se saisir de la science au service de l’intérêt général. L’après-midi a été consacrée à la prospective et à la mobilisation. Le but était d’imaginer un droit vraiment ambitieux, de raconter les mobilisations à l’international et de partager des bonnes pratiques.
Satisfaits de cet événement ?
Nous avons eu plus de 250 inscrits dont plusieurs experts et organisations engagées sur ces questions. Nous avons été très surpris du succès et des reprises dans la presse ! Moins d’une semaine après et nous avions déjà reçu une vingtaine de demande d’adhésions et des dons supplémentaires. Nous avons aussi toute enregistré et filmé pour pouvoir diffuser le contenu des échanges aux absents. Ce colloque était important à plusieurs titres mais il fallait surtout prouver qu’il était possible de se réunir sur cette question, de porter le message qu’il y a des états où des décisions ont été prisés et que de plus en plus de juges à travers le monde reconnaissent qu’il s’agit d’un devoir des gouvernements d’agir pour le climat.
Était-ce voulu d’organiser le colloque quelques jours avant la COP23 ?
Oui, tout à fait. C’est un moment où il est plus facile de parler du climat et de toucher le grand public. Lors des COP, les états doivent donner des détails sur les trajectoires qu’ils vont suivre. La COP23, présidée par les Fidji, était en plus une tribune pour les petites îles qui sont les premières victimes du changement climatique. Mais le dialogue qui s’ouvre maintenant pour un an est au moins aussi important pour voir la trajectoire globale des états. Notamment sur la question des responsabilités et des financements des « loss and damages ». Comment établit-on un vrai principe pollueur payeur pour les personnes, les états ou les entreprises ? Il faut continuer à avancer là-dessus même si les états sont nombreux à freiner des quatre fers… Le droit est basé sur la responsabilité, c’est un passage obligé !
Quelles sont les prochaines étapes ?
La conclusion du colloque était qu’au-delà du discours de la France, il nous faut des actes ! Notamment au niveau juridique où nous ne sommes pas du tout prêts. C’est pourquoi nous avons lancé 5 défis au gouvernement en lui laissant un délai de 3 mois pour y répondre avec un plan d’actions. Sans cela, nous irons déposer un recours auprès du tribunal administratif de Paris contre l’Etat Français.
Le Recours contre l’Etat français
Peux-tu nous en dire plus sur ces 5 points transmis au gouvernement ?
Le premier engagement demandé est celui de mettre le climat et l’obligation de le protéger dans la constitution. C’est un préalable pour permettre au législateur de légiférer ! Nous voulons également que le droit français reconnaisse les dérèglements climatiques comme écocides. Cela signifie en faire un crime contre l’humanité et que la France aille porter cette proposition auprès de la CPI. Notre troisième demande est que les citoyens puissent aller défendre le climat en justice. Comme nous essaierons de le faire avec le recours. Cette demande est moins simple, elle nécessitera de changer une série de mesure dans plusieurs droits distincts, civil, administratif, etc.
Quatrièmement, nous demandons au gouvernement de réduire vraiment les émissions de GES. Pas uniquement sur le territoire mais en considérant l’impact global qui tient compte également des importations. C’est le devoir de la France de lutter aussi là-dessus et cela nécessitera une stratégie contraignante. Enfin, le dernier défi est celui de la régulation de l’activité des multinationales au travers des outils fiscaux, légaux et réglementaires. Il faut que ce soit une obligation de l’état et que cela soit astreint à des amendes pour celles qui n’auraient pas de stratégie de réduction. Aujourd’hui, la France n’agit pas au maximum de ses capacités. On le voit avec l’investissement de l’état qui continue dans les énergies fossiles !
Est-ce réaliste d’associer ces demandes à un délai de trois mois ?
C’est une question qu’on nous a déjà posée ! Le problème est que l’urgence climatique est là. Les scientifiques nous disent qu’il faut agir avant 2020 pour pouvoir être sur une bonne trajectoire. La France a du travail et peu de temps !
Cette idée de recours, est-ce de la communication ou est-ce que ça peut réussir ?
Le but n’est pas uniquement faire parler, si nous devons le faire, nous le ferons pour gagner. Le colloque a montré que cela était possible, à la fois par des exemples internationaux et par la présence de grands juristes. Nous pensons que nous pouvons gagner. Même en cas d’échec, nous pourrons ouvrir des brèches et c’est aussi ça l’enjeu : que des portes s’ouvres pour que d’autres puissent poursuivre la bataille sur ce thème comme sur d’autres.
Il est vrai qu’en droit on a très peur des jurisprudences négatives. C’est pour ça que nous sommes prudents d’ailleurs. Mais nous sommes sur une démarche extrêmement innovante, qui n’a encore jamais été essayée en droit français. Aujourd’hui nous ne mettons en danger aucun autre recours, nous sommes les seuls. Même aux USA, plusieurs essais ont été nécessaires avant de réussir !
Maintenant, est-ce que vous avez une idée de comment mobiliser le grand public ?
Les 5 revendications vont vivre pendant les 3 mois, nous devons les faire connaître et mobiliser autour d’elles. Nous souhaitons également lancer une campagne de sensibilisation à destination du grand public. C’est l’avenir de tout le monde et on commence à le ressentir. Avec les incendies, les ouragans ou encore les récoltes de vins. D’ailleurs, il semble dès que nous parlons des enfants et de leur avenir, on voit que cela touche beaucoup les gens. Cela nous appartient à tous… c’est notre affaire à tous ! Nous sommes pour l’instant dans une phase d’explication de ce qui est compliqué et dès que ce sera fait, nous irons vers le grand public.
En décembre, pour le One Planet Summit du président Macron, nous lancerons un appel à témoignages de victimes. Viticulteurs, agriculteurs, victimes des inondations d’érosion en zone côtière ou de catastrophes naturelles, guide de haute montagne. Nous voulons aussi faire témoigner ceux qui parlent pour les glaciers ou les espèces en voie de disparition. Tout cela pour que le public puisse comprendre ce qui est en jeu.
Pour aider Notre Affaire A Tous
Pour conclure, peux-tu nous dire quels sont aujourd’hui les besoins de l’association ?
Nous sommes une structure qui cherche à fonctionner le plus horizontalement possible. Cela devient de plus en plus difficile compte tenu du nombre de projets que nous poursuivons en même temps. Nous tenons à cette stratégie de sociocratie avec une coordination qui chapeaute un ensemble de groupes de travail. Pour continuer à avancer, nous avons toujours besoin de juristes. D’abord pour finaliser le recours mais aussi pour travailler des propositions de lois avec des députés car l’association a aujourd’hui une mission de plaidoyer auprès du législateur.
Nous avons aussi besoin de gens qui savent penser une campagne de mobilisation et qui savent faire du graphisme ou de la vidéo. Nous faisons beaucoup de veille des actions dans le reste du monde. Pour cela, il nous faut des gens qui savent parler des langues très diverses et qui savent rédiger des notes d’arrêts. Enfin, nous avons besoin d’argent bien-sûr, pour pouvoir recruter et lancer de nouvelles actions ! Les gens peuvent nous aider et adhérer à l’association via notre page sur HelloAsso.
Merci beaucoup Marie !