La plupart d’entre nous est aujourd’hui conscient de l’impact de l’homme sur son environnement. Tous les experts s’accordent à dire qu’il faut réagir rapidement face à l’urgence du réchauffement climatique. Mais à quelques semaines de la conférence internationale sur le climat, la COP21, qui se déroulera à Paris en décembre 2015, les français placent toujours la protection de l’environnement loin derrière le chômage, la délinquance ou le pouvoir d’achat (sondage Ipsos ).
Pourtant, nous parlons bien de survie de l’humanité à moyen, voire même à court terme. D’où vient ce désintérêt ? Des médias et de la manière dont ils racontent l’écologie aujourd’hui ? Des mots que nous employons pour décrire notre rapport à la nature ? Comment raconter cette urgence vitale à laquelle nous faisons face et que nous devons résoudre, ensemble ? Pour répondre à cette question, Place to B propose une série d’entretiens intitulée « Storytelling & écologie ».
Dossier réalisé par EveDemange
« Our Life 21 : réussir sa vie en 2050 à l’échelle d’une famille »
L’association 4D, “Dossiers et Débats pour le Développement Durable”, a été créée après le sommet de la Terre de Rio en 1992. Son objectif ? Accompagner les citoyens dans la transition énergétique, vers un développement compatible avec la préservation de la planète. Son président Pierre Radanne est membre du Comité d’organisation de la COP 21. Vaia Tuuhia, déléguée générale de l’association, nous parle des ateliers narratifs « Our life 21 » qu’elle co-anime avec Marie Chéron.
Place to B : Vaia, peux-tu nous parler de votre projet « Our life 21 », imaginer 2050 ?
Vaia Tuuhia, Association 4D : En ce moment, nous travaillons pour faire aboutir les négociations sur le climat mais nous devons aussi absolument mobiliser l’opinion publique. C’est essentiel parce que tu peux avoir un accord international et des chambres parlementaires qui n’en veulent pas dans les pays signataires. Si tu prends par exemple le cas de Kyoto : les américains ont signé le protocole mais le congrès ne voulait pas en entendre parler, ils ne l’ont donc pas ratifié. Impossible de mettre en œuvre un accord international sans toucher la population et inscrire les mesures dans un processus démocratique.
Le rapport du GIEC nous dit que nous devons diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre en 2050. Mais ce sont des objectifs universels transmis avec une vision techniques du problème, des chiffres qui restent très abstraits. Personne ne sait très bien ce que ça veut dire au quotidien. On entend encore trop souvent qu’il faut éviter de faire couler l’eau en se brossant les dents et éteindre la lumière, il faut aller bien plus loin et les gens n’ont pas une idée bien précise de ce que cela implique. Tout ça produit un sentiment de frustration qui ne permet pas d’amorcer un réel changement de comportement.
« Our life 21 » est né de l’envie de montrer les prospectives de réussite à l’échelle de la vie d’une famille. Qu’est-ce que ça veut dire, être heureux en 2050 dans une perspective de transition énergétique réussie ? A quoi ressemblerait un monde qui aurait gagné la lutte contre le changement climatique ? Et ça veut dire quoi dans ta vie de tous les jours une maitrise du réchauffement à 2°C ?
P to B : Qu’est-ce que c’est « Our life 21 » ?
VT : « Our life 21 », ce sont des ateliers de co-construction de récits de vie. Nous réunissons des groupes de personnes dans différents milieux socio-culturels, dans différents pays, et nous leur demandons de co-construire un récit à partir de leur réalité et de leur imaginaire. Un atelier dure 2 jours. Le premier jour, nous leur donnons des repères, de la matière et des contraintes énergétiques à partir desquelles ils doivent réfléchir. Ensuite, ils imaginent des récits de vie. Puis nous faisons des modélisations à partir de ces cas concrets. Ça nous permet de dire en quoi nos gestes de tous les jours ont un impact sur le climat. Et donc, nous pouvons donner de vrais repères aux gens.
P to B : Peux-tu nous donner un exemple justement ?
VT : Prenons l’exemple d’une des familles imaginées dans nos fabriques de récits. Le groupe les a nommés Amir et Isabelle. Ils ont trois enfants, la cinquantaine. Ils vivent dans une zone péri-urbaine, avec des revenus modestes. Ils vont devoir diviser par deux leur consommation d’énergie en 15 ans. Leur maison est du bâti ancien. Lorsque leurs enfants ainés quittent la maison, ils se posent la question du réaménagement. C’est classique : au moment des grandes étapes de la vie, on s’interroge sur les travaux.
Amir et Isabelle se retrouvent seuls dans une vaste maison avec des pièces vides. Ils se posent des questions plus réfléchies sur leur moyen de chauffage, leur isolation. Ils vont avoir besoin de la bonne information. Un couple plus aisé recherchera des aides fiscales, eux sont davantage dans une logique d’échanges, de coopérative, de diagnostic d’échanges et de moyens. Leurs enfants les motivent pour choisir un producteur spécialisé en énergies renouvelables. On voit bien que si on pense l’économie bas carbone sur du moyen terme, ça ne pose pas de difficultés.
Nous devons arriver à proposer des solutions concrètes qui emmènent les familles vers des modes de vie bas carbone. Our life 21 raconte 2010, 2030, 2050. Si on ramène chacun à des problématiques concrètes qu’il peut rencontrer dans son quotidien, là où il a une marge de manœuvre, ça revient à lui dire : « tu peux le faire. Et voilà comment tu peux le faire, maintenant tu sais où tu dois agir».
P to B : Pourquoi avoir pris la famille ?
VT : Le principe d’ « Our life 21 », c’est de faire des récits co-construits. Nous ne sommes pas seuls au monde. Nous vivons avec d’autres qui ne fonctionnent pas comme nous. La famille nombreuse, mono-parentale, c’est un référent social avec ses possibilités et ses dilemmes.
Autre cas typique : le repas, on peut l’imaginer sans viande par exemple, c’est concret et très impactant. Si tu prends une personne très gourmande qui aime la viande, ce choix va s’avérer très difficile pour elle. Il y aura des tractations au moment des courses et de la préparation du repas. On peut imaginer que celui ou celle qui lancera ça dans la famille le fera de façon progressive avec un transfert de satisfaction au niveau du goût sur d’autres ingrédients.
Si tu prends une famille qui fait le choix d’habiter à la campagne, tu vas être dans une toute autre organisation de vie par rapport à une famille qui vit en ville. C’est important de décliner l’histoire d’une famille dans les situations de la vie de tous les jours : les choix professionnels, les vacances, les transports, la nourriture. Cela permet de montrer la cohérence et la co-construction du changement dans un groupe et aussi sur une génération. Car le changement va se faire progressivement avec des deals progressifs qui traduisent des réalités de vie, des goûts, des moyens financiers, des choix personnels.
En 2050, si nous voulons réussir, nous ne devrons pas dépasser 1,6 tonne d’émission de gaz à effet de serre par personne. Nous en émettons 4 fois plus aujourd’hui en France. Pour y parvenir, pas de baguette magique, chacun doit rentrer dans une logique de transition personnelle. Comment tu peux te raconter ton histoire et celle de ta famille à la lumière de ces nouvelles contraintes et des opportunités ?
On envisage trop souvent le changement comme un geste unique : ne pas prendre sa voiture, arrêter de faire couler l’eau, je reviens sur cet exemple parce que je l’entends tellement en ce moment. Mais il faut aller plus en profondeurs, envisager la transformation dans sa globalité. Les familles évoluent. Les enfants vont jouer un rôle très important dans la construction imaginaire de l’avenir. C’est important de prendre en compte la cohérence du récit à l’échelle d’une famille en intégrant tous les pans de son histoire. C’est ce que nous faisons avec le projet « Our life 21 ».
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